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La perception de la densité et les dimensions de son « acceptabilité »

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La question de la faible densité de nos villes, particulièrement en Amérique du Nord, se fait de plus en plus sentir dans les débats actuels vis-à-vis les changements climatiques dont nous ne pouvons plus nier l’existence. En effet, l’ambiguïté de la densité a fait en sorte que depuis quelque temps elle avait été mise en retrait, mais elle s’avère vraisemblablement aujourd’hui un paramètre essentiel face au développement durable de nos villes qui ne cessent de poursuivre leur étalement. Cette densité faible des tissus induit plusieurs enjeux écologiques et économiques si nous pensons par exemple au gaspillage de l’espace qui est fait au détriment de forêts rasées ou de terres agricoles perdues, à l’utilisation nécessaire et quasi incessante de l’automobile qu’encouragent ces formes de développement afin de s’y déplacer et d’y accéder, à tous les investissements qui doivent être déployé afin de construire les infrastructures routières et les aqueducs ainsi que pour leur entretien, etc. Il en est aussi de toute la question de la culture en Amérique du Nord où, comparativement au continent européen, l’absence de traditions de longue date en matière de planification des villes à apporter depuis quelques décennies cette diffusion entre et dans les milieux urbains. Ainsi, face aux changements climatiques qui se font de plus en plus ressentir et aux problèmes socio-économiques grandissants, la ville contemporaine se doit d’être pensée et planifiée de manière plus dense; nous devons donc revoir notre façon de l’habiter. Des formes plus denses et plus compactes permettraient en autre d’épargner sur les couts des infrastructures par leur concentration, de renforcir l’esprit de communauté par la proximité dans un même environnement des habitations, des écoles, des emplois, etc., en plus de diminuer les distances à parcourir en voiture tout en favorisant l’utilisation des transports en commun par des dessertes plus efficientes. Toutefois, la densité n’a pas très bonne image. Elle est souvent mal perçue en étant associée automatiquement à la promiscuité, à l'encombrement ou tout simplement à la congestion automobile. La densité ne semble donc pas correspondre aux représentations idéales des formes d’habiter et de vivre la ville auxquelles aspirent les gens. De ce fait, la perception de la densité se voit comme une question inévitable si on concède préalablement que son caractère durable ne peut être assuré sans que celle-ci ait fait l’objet d’une acceptation de la part des résidants. Ainsi, ce qui nous amène à nous questionner sur comment la densité, par ses multiples facettes, peut-elle être traitée afin d’être mieux acceptée de telle sorte que la proximité ne corresponde pas à la promiscuité? De quelles façons les dimensions de son « acceptabilité » peuvent-elles se transposer concrètement dans des environnements plus denses? D’ailleurs, est-il possible d’en arriver à une densité idéale? Au travers de ces réflexions, nous verrons comment de bonnes pratiques en design urbain peuvent contribuer positivement à la planification des milieux urbains afin de créer des environnements agréables et durables.





Premièrement, il serait important de décortiquer quelques définitions dérivant de la densité, car « derrière la simplicité apparente d'une fraction arithmétique et l'usage technique qui en est fait, se cache une complexité majeure » (Amphoux, 2003 : 2). En effet, l’emploi du terme de la densité peut faire appel à plusieurs phénomènes. Chaque expert ou professionnel a sa propre définition de la densité, selon des échelles, des surfaces et des critères différents. Dans les domaines de l’urbanisme et du design urbain, on s’intéresse davantage, outre le coefficient d’occupation au sol (COS) et l’indice du rapport plancher/terrain (RPT) qui ne seront pas élaborés ici afin d’en alléger la lecture, à deux concepts de la densité, soit la densité réelle et densité perçue. De manière plus objective, la densité réelle est calculée selon les dimensions absolues d’un milieu bâti. Cette valeur, dont l’unité de mesure couramment utilisée est le nombre de logements à l’hectare, est plus employée par les professionnels dans le secteur de l’immobilier ou en urbanisme afin de chiffrer par exemple la densité bâtie d’un développement résidentiel. Elle se divise en deux valeurs possibles, soit la densité brute et la densité nette. La première est calculée sans exclure les surfaces et les fonctions autres que résidentielles (parcs, rues, institutions, commerces, etc.) alors que la deuxième valeur, la densité nette, tient compte seulement des logements et l’aire de leurs terrains. Toutefois, la densité réelle peut s’avérer une valeur difficilement saisissable et représentable pour la plupart des résidants. Ainsi, nous en arrivons au deuxième concept de la densité, soit la densité perçue, qui est vécue subjectivement au travers des environnements et des ambiances du quotidien. Elle n’est pas calculable, elle est plutôt ressentie selon différentes intensités dépendamment des valeurs culturelles personnelles propres à chacun. Comme il est possible de voir, le terme de la densité sous-tend de nombreux sens. Elle fluctue entre une donnée plus technique, une approche à caractère social et des connotations plus sensibles par les ambiances des milieux. Tel qu’il l’a été mentionné précédemment, c’est cette question de la perception de la densité, étroitement liée aux représentations que nous avons de notre environnement, qui intéresse davantage, car il sera possible, par une compréhension préalable de son assentiment, d’en arriver à une densification du tissu de nos villes au lieu de repousser constamment leurs limites. Comme nous le verrons, cette acceptation interpelle plusieurs paramètres pouvant être rassemblés selon quelques dimensions respectives. Encore là, en dressant un portrait de ces dimensions, il sera possible de mieux voir toute la complexité de la chose. Elles sont vouées à la subjectivité, car chacune d’entres elles sont perçues à la fois comme distincte par rapport aux autres, mais aussi toutes en étroite relation.



Une de ces dimensions fait appel à ce qu’on peut définir comme la modularité de la forme urbaine, c’est-à-dire ce qui concerne la dimension physique de l’environnement dans lequel nous nous retrouvons et la disposition qu’ont les éléments dans l’espace. La lecture qui en sera faite de ces éléments sera différente selon l’échelle à laquelle nous nous positionnons dans la forme urbaine. Selon Isabel Claus, il y a 3 échelles de lecture différentes où « trois espaces coexistent en étant alternativement enveloppes et enveloppés » (Claus, 2009 : 25). Dans cet emboitement d’espaces, on retrouve à la plus grande échelle celle du site, où l’enveloppe se définit comme le quartier et l’enveloppé l’îlot. À moyenne échelle, celle de l’îlot, on a le dessin au sol tels le tracé, la voirie, l’espace public, pour l’enveloppe et le bâti et les parcelles pour l’enveloppé. Finalement, à l’échelle la plus petite, celle du corps, on retrouve l’espace extérieur (espaces ouverts et volumes du bâti) en tant qu’enveloppe et l’espace du corps comme l’enveloppé. Ce dernier serait « primordial comme mesure d’acceptation de toute forme de densité » (Claus, 2009 : 25). Dans cette optique, il serait intéressant de s’attarder sur cette échelle de perception et de voir plus en détail les interrelations de notre corps avec l’espace extérieur qui l’enveloppe. Les 3 représentations ci-dessous montrent de manière schématique une même densité réelle se déclinant toutefois sous 3 différentes typologies d’habitation et d’occupations au sol.



 













































1. PONT, M.B. (2010), Space matrix: space, density and urban form, Rotterdam: NAI publishers,  279 pages.

2. http://www.heritageconnectlincoln.com/imgGallery/big_2009_Terraced_Houses.JPG
3. http://ucdesustainability.blogspot.ca/2011/07/wonderful-world-of-woonerfs.html





De ces illustrations, on peut en ressortir quelques éléments clés pouvant avoir une influence sur notre assentiment de la densité en venant l’interférer. Prenons par exemple le premier dessin à gauche (voir fig.1). Cette tour peut paraître, par sa hauteur, beaucoup plus dense que les ensembles bâtis des deux autres représentations même si toutefois le nombre de logements à l’hectare est identique pour chacun. L’absence ou le peu de végétation et d’environnement bâti à proximité de cette tour peut d’ailleurs participer à cette amplification de hauteur et de forte densité perçue. Dans le dessin du centre (voir fig.1), même si les bâtis sont de très faible hauteur comparativement à la tour, l’alignement de ceux-ci par un positionnement identique sur les parcelles créé en quelque sorte de longues perspectives peu intéressantes par la monotonie ainsi produite (voir fig.2) . À contre-exemple (voir fig.3), le désalignement des façades et la présence de végétations créent une profonde intéressante à l’œil. Finalement, dans le dessin de droite (voir fig.1), le jeu de volumes variés apporte une meilleure acceptation de la densité par la diversité de la volumétrie créée, en plus de la présence d’une végétation plus abondante. En effet, on sous-estime l’effet que peuvent produire des végétaux bien choisis par leur hauteur, leur couleur et leur texture, mais aussi par l’odeur qu’ils peuvent offrir, changeant selon le passage des saisons. Ils peuvent agrémenter un espace de manière marquante. On peut penser aussi comme autres éléments à tout l’aspect de la lumière et des jeux d’ombres qu’elle peut provoquer en venant moduler les façades des bâtiments et le sol ou à comment les espaces publics sont aménagés par exemple. Évidemment, ces quelques paramètres de la modularité représentent une infime partie de tous ceux qui peuvent être pris en considération dans la sphère physique de la densité perçue.





Par ailleurs, les images du cadre ambiant découlant directement de la lecture qui est faite à l’échelle du corps interagissent étroitement avec la dimension plus sociale de la perception de la densité. En effet, « un cadre physique vivant et intégré, capable de « produire » une image « aiguë », bien typée, joue aussi un rôle social […] celui qui possède une bonne image de son environnement, en tire une grande impression de sécurité émotive. Il peut établir des relations harmonieuses avec le monde extérieur » (Lynch, 1976 : 5). Ainsi, le statut social et l’identité des résidants seront valorisés si leur environnement est composé de manière personnaliser par une certaine qualité. De plus,  la manière dont les diverses formes d’occupation du sol seront disposées et agrégées permet d’obtenir une bonne rentabilisation de l’occupation du sol, sans pour autant donner un sentiment d’exiguïté ou d’entassement. Ceci pourrait au contraire donner un accroissement de satisfaction. Ainsi, par une qualité des milieux urbains et les façons dont ils sont habités, il serait possible de venir estomper les désavantages associés à l’entassement. En pratique, afin de réduire au minimum les face à face et le sentiment de proximité, la réalisation d’habitations mitoyennes par la combinaison et la superposition de logements exige de la part des concepteurs un réel savoir-faire afin de donner aux résidants des lieux une impression « d’individualisation » de leurs logements. Cette forme de proximité sera d’ailleurs mieux tolérée si elle s’arme d’éléments associés à une ouverture sur l’extérieur tels que des terrasses ou des jardins, grandement appréciés des résidants, d’où en résulteront des sentiments de confort. Des espaces extérieurs privés comme ceux-ci permettent de repousser l’image négative que nous pouvons avoir de la densité, car elle implique automatiquement une certaine forme de proximité. Il n’y a donc pas de composition universelle de la distance, tout est une question de relativité.





Sous un autre angle, Pascal Amphoux propose une approche de la densité selon une dimension à caractère plus sensible axée sur l’intensité. En effet, il l’a défini ainsi « parce que d'un côté le mot signifie le degré d'activité ou d'énergie d'un phénomène sensible (le son, la lumière, le geste); de l'autre il désigne la prégnance ou la vivacité d'un sentiment, d'un regard ou d'une relation » (Amphoux, 2003 : 9). En fait, la sensibilité dans les processus de densification des formes urbaines empêche l’application de toute normalisation, quelle qu’elle soit, voire même la diction de règles particulières. Ainsi, aucune norme ou règle ne peuvent vraiment être dictées afin de diriger la manière dont nous devons procéder afin d’en arriver à une certaine acceptabilité de la densité. Il s’agirait plutôt de formuler des principes d’intensification, qui selon Amphoux sont au nombre de quatre. D’ailleurs, ces principes « ne disent pas que faire ou comment faire, mais pour quoi faire. Ils ne programment pas le but, mais ils énoncent l'intention du projet » (Amphoux, 2003 : 9). Un de ces principes consiste à la mise en tension des éléments de la forme urbaine, d’où s’en dégage une intensité. Il en suppose par exemple à une remise en ordre dans des environnements trop hétérogènes ou à l’inverse à l’apport de perturbations dans formes perçues de manière trop homogène.  Il n’en résulte donc pas de recettes, mais des principes précisant une intention.

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Nous pouvons donc voir que cette sphère plus sensible de la perception de la densité suggérée par Amphoux fait appel à la fois à la dimension physique et la dimension sociale préalablement décrites. Par leurs interrelations au sein de cette dimension, il est possible de voir que les dimensions de l’acceptabilité de la densité sont à la fois distinctes tout en étant constamment en relation. De ce fait, nous pouvons voir qu’il est difficile, voire impossible, d’établir un ratio ou recette de densité idéale, car il n’existe pas d’indicateur global permettant de considérer tous les paramètres pouvant influencer la perception qu’on en a. Face à la question de la densité et sa perception, une approche dotée d’une certaine sensibilité doit nécessairement compléter des approches purement physiques et sociales, car elle est une affaire d’équilibre et de ressenti. Orchestrée avec finesse, elle s’avère positive : l’économie d’espace qui en résulte peut permettre d’investir à nouveau sur des terrains où commerces, services publics et transports en commun seront à proximité des familles. De plus, par de bonnes pratiques en design urbain, des environnements durables seront conçus, tout en tirant parti des atouts et contraintes qu’offre chaque site afin de garantir une identité propre aux formes urbaines.





Sources :



AMPHOUX, P. (2003), " Polarité, Mixité, Intensité, Trois dimensions conjointes de la densité urbaine ", In Hilde Heinen, David Vanderburgh, Inside Density, International Colloquium on Architecture and Cities, Bruxelles : Éditions La lettre volée, 19-32.



CLAUS, I. (2009), " Échelles de perception de la densité ". In J. Amor et al (Dirs) Densités, Paris: Villette; Blois : École nationale supérieure de la nature et du paysage, 24-31.

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LYNCH, K. (1976), " L’image de l’environnement". In L’image de la cité, Paris: Borduas, 1-16.

(figure 1)

(figure 3)

(figure 2)

IJ

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