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Les gated communities : la sécurité, mais à quel prix ?

Sans se considérer comme une étude complète du phénomène des gated communities, le présent compte rendu de lectures vise à définir pourquoi, dans une ère de nouvel urbanisme, les gated communities viennent-elles à s’intégrer dans les villes actuelles. Il a aussi pour but de rapporter les  motifs sociaux qui poussent une partie de la population à s’y installer. Pour ce faire, une définition générale de ce que sont les gated communities sera apportée. Ensuite, il sera question de la quête de sécurité comme moteur d’emmurement et pour terminer, la situation au Québec et au Canada sera abordée.



 


Comment définir les gated communities ?



Tout d’abord, pour bien comprendre l’impact et les motifs qui soutiennent la création des gated communities il est important de bien définir clairement ce qu’elles sont réellement. Plusieurs auteurs se sont d’ailleurs penchés sur la définition des ces communautés en tant que tel. Certains font des dimensions légales et techniques la base de leur définition (LAMALICE, 2007), mais comme elles ne sont pas exclusives et que certains types d’immeubles à condos ont les mêmes règles, nous nous pencherons d’avantage sur les caractéristiques physique et urbaines. « Ce qui différencie les gated communities [des autres complexes] tient dans la présence d’une enceinte et de la garantie d’exclusivité, et dans la cible sociologique d’un marché offrant à la fois une résidence, des services de sécurité et des activités de loisir ». (LE GOIX, 2003 : 119). D’après leurs analyses, Grand et Mittelsteadt (2004) ont conclu qu’il est difficile de considérer ces communautés comme une entité urbaine unique, vu le trop grand nombre de diversité. Il faut considérer les différents dérivés. Pour les biens de ce texte, nous traiteront des gated communities d’après la définition suivante : « la fermeture totale du complexe d’habitat par un dispositif physique (mur ou clôture) qui le constitue en isolat clos, le contrôle des accès par le recours à un arsenal technologique […], humain […] ou une combinaison des deux [et] enfin, un principe d’auto administration d’ampleur très variable d’un contexte géographique à l’autre ». (BILLARD et al. 2005 : 13) On y retrouve là les trois principales caractéristiques qui caractérisent les gated communities, dont les murs qui sont l’élément le plus reconnaissable et identifiable.



 

Bien qu’assez récente comme manière d’habiter, les communautés enclavées se buttent aujourd’hui aux notions mises de l’avant par le nouvel urbanisme de la ville : mixité sociale et fonctionnelle, quartier de proximité, transport en commun, favorisation de la mobilité douce, etc. En fait, les communities semblent s’implanter en réaction au développement contemporain des banlieues. (LAMALICE, 2007). Alors qu’on retrouve maintenant bon nombre de services et d’écart entre les revenus des familles dans ces banlieues qui étaient autrefois qualifiées de villes dortoirs. Il semblerait que les communautés fermées s’installent en périphérie de celles-ci, là « où la construction résidentielle est la plus forte. » (LAMALICE, 2007) Ces terrains, souvent loin de la métropole, offrent aux futurs propriétaires l’idée d’un petit havre de paix, loin des turbulences et de la pollution de la ville. Peut-être un peu à la manière des banlieues de la ville de Québec aujourd’hui, qui sont la cause de l’étalement urbain, s’agrandissant sans cesse jusqu’à rejoindre la limite urbaine de la ville et se buter contre les terres agricoles. Par ailleurs, les secteurs où il y a le plus de développement résidentiel sont, au sud-ouest des Etats-Unis par exemple, sont souvent à des kilomètres des villes comme Los Angeles et San Francisco (LE GOIX, 2003). Dès que les transports sont assez développés, pour permettre les liens faciles entre ville et banlieues, ces dernières s’agrandissent par le désir de fuir la saleté des centres.




La quête de sécurité comme moteur d’emmurement



 

S’il y a un point sur lequel la très grande majorité des auteurs sont d’accord, c’est bien la raison principale qui pousse les gens à s’installer : la quête de sécurité. « Seulement 1 % des personnes interviewées par Blakely et Snyder ont reconnu que la recherche de sécurité n’avait pas influencé leur choix d’aménager dans une gated community. » (LAMALICE, 2007) C’est par cette recherche que les promoteurs immobiliers viennent des communautés fermées viennent à vendre leurs propriétés. En fait, ce qui attire le plus, c’est l’enceinte qui entoure le complexe résidentiel. Celle-ci forme à la fois la barrière physique et psychologique qui se retrouve au cœur des demandes des citoyens désireux de plus de sécurité. Elle forme en quelque sorte un rempart qui les protège de tous les dysfonctionnements sociétaux, mais aussi qui réussit à diminuer un sentiment d’insécurité : elle garde les « bons » à l’intérieur et retire les « méchants » à l’extérieur. Aussi, surtout dans le cas des Etats-Unis où sont situées une grande partie des gated communities, on parle de fuite de la peur (flight from fear) comme dérivée de la quête de sécurité. (GRANT, 2004) Une partie du livre de l’anthropologiste Setha Low est dédié à cette recherche de sécurité et à cette peur, mise à nue par les conversations qu’elle a avec des habitants de gated communities. Elle divise cette crainte et recherche en trois chapitres, trois grands types : la protection des enfants, la peur de la criminalité et la peur de l’autre.



D’abord la protection physique des enfants est une des dérivées de la quête de sécurité qui pousse à s’installer dans les gated communities. Une peur des étrangers qui pourraient s’attaquer aux plus jeunes et les enlever. Mais aussi, une crainte des prédateurs sexuels alimentée par la couverture médiatique importante des enlèvements d’enfants. (LOW, 2003) Toutefois, cette « surmédiatisation » rend la peur mal fondée ; des 66 548 enfants portés disparus en 2005 au Canada, seulement 30 ont été enlevés alors que 51 200 on fugués. (LAMALICE, 2007) Une crainte qui dépasse donc le danger réel de tels crimes, tant aux Etats-Unis que dans notre pays.



 

Ensuite, l’érection des murs des communautés se veut une protection contre la criminalité dans les quartiers. En effet, « l’implantation initiale des gated communities modernes – durant les années 1960 - concorde avec une augmentation de la criminalité jusque dans les années 1980. » (LAMALICE, 2007)  En limitant l’accès aux rues du quartier qu’aux résidents, on leur donne ce qu’ils demandent réellement : la sécurité. La barrière devient un image, elle démontre la profondeur de la sécurité, repousse à l’extérieur de son enceinte les crimes, le trafic et autres indésirables aux yeux des citoyens. Mais le problème avec cette crainte excessive de la criminalité et l’emmurement n’est pas que l’on déplace simplement le problème ? Les prostitués et vendeurs de drogues ne traverseront-ils pas dans le quartier voisin, dans une boucle de création de gated communities ? Selon les travaux effectués par Newman en 1995 sur la communauté de Five Oaks, en Ohio, il semblerait que non. Alors que la criminalité dans le quartier visé a diminué de plus de 25 %, les crimes dans les communautés avoisinantes auraient aussi baissé, d’environ un pourcent. (NEWMAN, 1995 : 152)



Puis, il y a la peur de l’autre. Les résidents veulent un quartier avec de gens ayant le même intérêt. (GRANT, 2004) D’ailleurs, ils sont souvent plus fortunés car le prix des maisons à l’intérieur de ces communautés est souvent plus haut et plus stables qu’aux alentours. (NEWMAN, 1995) Officiellement, il est très rare de voir des règlements qui limitent l’achat de maisons à une population de certaines races à l’intérieur des communautés, mais la situation financière requise pour y entrer fait en sorte que la sélection se fait inévitablement. La peur de l’autre dans les grandes villes est aussi la peur des immigrants. Mais c’est aussi là la quête d’une sécurité par l’unicité sociale, l’appartenance à une même classe sociale. (LAMALICE, 2007) Les résidents des communities aiment le rapport qu’ils entretiennent avec leurs voisins, ils sont confortables de vivre avec des gens qui leur ressemblent, qui ont les mêmes intérêts qu’eux. (GRANT, MITTELSTEADT, 2004) Les gated communities sont l’évolution la plus récente de la volonté de séparation physique, pour exclure une partie de la population. Pourtant, en sécurisant à l’extrême et en tentant de créer ainsi un sentiment de communauté, de proximité, on vient à perdre la solidarité sociale qui peut exister dans les petites communautés ouvertes sur les autres quartier.



 

« La séparation physique imposée par les murs de ces communautés augmenterait la peur de la criminalité et la peur de l’autre chez les enfants, peurs qui sont alimentées par des “paniques morales” concernant des événements rares, mais médiatisés ». (LAMALICE, 2007)




Typologies de “communities” et techniques utilisées



 

Des communautés séparées certes, mais de quelles façons ? J. Grant et L. Mittelsteadt en font un excellent résumé dans leur texte Types of Gated Communities (2004). D’après les recherches de Blakely et Snyder (1997), les communautés fermées sont divisées en trois grande catégories : communautés de prestige, de style de vie et de zone sécuritaire malgré la présence de la barrière dans les deux premiers. C’est cette dernière qui contient un amalgame de principes permettant de limiter l’accès à différents niveaux. Bien sûr, il existe les murs de grande hauteur qui circonscrivent le secteur privé entièrement. Mais des méthodes moins drastiques et imposantes permettent d’atteindre une sécurité semblable, quoique moins franche. Des éléments naturels, comme des cours d’eau, de grands fossés et des boisés, peuvent servir à créer une frontière, une limite au quartier. (GRANT, MITTELSTEADT, 2004) Sans former un quartier entièrement fermé ni restreindre l’accès aux non-résidents, ces éléments créent une distance notable entre la communauté et les alentours qui peut dissuader les étrangers d’y entrer. Aussi, le type de barrière utilisée pour fermer l’accès peut différer grandement. Passant de fausses guérites à des portes nécessitant un code pour la traverser, certains quartiers utilisent aussi des dos d’ânes et autres méthodes pour ralentir la circulation et dissuader le transit automobile. Le type de porte et de barrière est d’ailleurs influencé par ce qui se trouve autour de la gated community. Par exemple, dans des développements plus ruraux, la distance offre la sécurité désirée (GRANT, MITTELSTEADT, 2004), un peu dans le même sens que les boisés et rivières mentionnés précédemment. Ainsi, une simple barrière comme on retrouve dans des stationnements payants est nécessaire pour créer la limite.



Corolairement, avec un réaménagement des espaces publics et une restructuration rues, il est possible de transformer un quartier résidentiel « ouvert » à une gated community. C’est ce qui est arrivé à la Five Oaks Community, en Ohio (voir Fig. 1). Situé entre le centre ville et les banlieues de Dayton, le quartier était aux prises avec un problème de circulation de transit très importante et un taux de criminalité élevé. (NEWMAN, 1995) Le quartier devenait donc invivable pour des jeunes familles qui recherchaient la quiétude, le prix des maisons plongeant et l’occupation illégale de certain bâti devenant évidente. Bref, le sens social et communautaire tombait dans une spirale continue. Pour contrer le tout et régler la hausse du taux de criminalité du secteur, il fut décidé de restructurer les accès et les rues de Five Oaks afin de créer six petits quartiers et ainsi offrir un environnement plus près des quartiers de banlieues. « Fermées par des grilles, les anciennes rues au plan quadrangulaire étaient transformées en culs-de-sac qui réduiraient les flux et permettraient de contrôler les entrées-sorties ». (LE GOIX, 2003) Mais ce type de développement ne va-t-il pas à l’encontre des fondements du nouvel urbanisme basé sur la mixité et la perméabilité des secteurs ? En créant de un nombre incroyable de culs-de-sac de la sorte, on vient à isoler beaucoup de gens des services avoisinants : distance de marche plus grande pour se rendre aux commerces de proximité (si présents), éloignement du transport en commun, etc. On retourne à un système urbain centré sur la voiture qui prône l’unicité sociale. Il faut se demander s’il s’agit là du vrai concept de communauté.



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De plus, un autre ensemble résidentiel sur lequel Newman a œuvré permet de voir une manière de traiter les gated communities. Le projet d’habitations collectives de Clason Point amène l’idée qu’en restructurant les espaces publics pour les offrir aux résidents du quartier, les convertir en terrains privés et entretenus aux frais du propriétaire, il est possible de repousser les indésirables hors du quartier. C’est ainsi que plus de 80 %  des sols furent donnés aux résidents. « Les terrains maintenant définis comme les leurs, les résidents en prirent soin et les contrôlèrent de la même façon que l’intérieur de leur propre appartement ». (NEWMAN, 1995) Les fondements de ces modifications des lots sont certes louables, et appréciés d’après les propos de Newman, mais dans une optique où la mixité sociale et fonctionnelle permettrait un meilleur sentiment de communauté, n’y a-t-il pas là un certain clivage qui se crée entre les résidents plus riches et plus pauvres ?

Les “gated communities” au Québec et au Canada


Par rapport aux Etats-Unis, le Canada est beaucoup moins atteint par l’insertion des gated communities dans le contexte urbain. Alors qu’on en compte plus de 20 000 chez nos voisins du Sud (BLAKELY, SNYDER, 1997), on en dénombre que 314 au Canada (GRANT, 2004). En fait, il n’y a pas de communities hyper-sécurisées, comprenant un garde en permanence et une police privée. (GRANT, 2004) Au Québec, on ne compte aucune communauté fermée à proprement dit. Il existe quand même des complexes de condominiums où l’identification est requise pour pouvoir y accéder. La différence dans la médiatisation de la peur (de l’autre ou de la criminalité) semble être ce qui explique ce si grand écart entre les deux pays. (GRANT, 2004) Mais aussi « [le] rejet de l’évolution souvent multiethnique des banlieues » (LAMALICE, 2007)

En tant que designer urbain, il faut savoir comment traiter l’arrivée des gated communities. Même si l’intégration au paysage urbain ne sera fort probablement pas aussi forte qu’aux Etats-Unis, certains projets laissent présager que les communautés de ce type verront le jour au Québec ; un projet de chalets sécurisés dans la région de Lanaudière par exemple. Comme la quête de sécurité est la raison principale de l’installation dans ce type de communauté, il faut être en mesure d’offrir le même sentiment sans toute fois restreindre entièrement l’accès. Il faut trouver des dispositifs, autres que les murs et barrières, qui servent à délimiter sans nécessairement enclaver les quartiers.

En plus d’être un problème de nature urbaine, l’apparition des gated communities est aussi un problème social : « Il ne [faut] pas sous-estimer l’impact de la présence de ces communautés, ni d’ailleurs les facteurs conduisant à leur apparition. En effet, il semble [qu’elles] soient érigées sur des fondements d’inégalité et de fracture sociale ». (LAMALICE, 2007)

Fig. 1 : Projet de fermeture des rues à Five Oaks Community, Dayton, Ohio.
(NEWMANN, 1995)

IJ

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